Impressions de pierre
Texte╱ Rédaction: Lan Nian Chu (藍念初) / Traduction: Louis Teirlinck
Texte╱ Rédaction: Lan Nian Chu (藍念初) / Traduction: Louis Teirlinck
Les pingouins s’offrent des pierres pour se déclarer leur amour, car ces pierres sont des matériaux essentiels à la construction de leurs nids. Et, en Antarctique, elles sont rares.
Moi aussi, j’aimerais te remettre une pierre.
Mais ce n’est pas pour dire qu’une pierre, comme matériau de construction d’une vie, est indispensable, c’est plutôt parce que tu acceptes que je te la donne, que je peux te faire comprendre que, pour moi, le matériau indispensable à ma vie, aujourd’hui, c’est toi.
Je ne sais pas si, dans l’avenir, nous pourrons continuer à façonner la vie ensemble, de mille façons différentes.
Mais j’espère que chaque pierre, comme ces décisions minuscules que nous prenons chaque jour, finira par former notre empreinte commune : nous ne nous souviendrons peut-être pas de chacune d’elles, mais nous saurons qu’elles sont nous.
Si l’on disséquait la vie, elle serait ce qui nous contient, ce qui nous porte, un navire qui nous conduit à travers le temps.
Les pierres vivent plus longtemps que nous, parcourent des chemins bien plus vastes. Elles viennent de si loin, d’un passé si ancien que, jadis, nous n’étions même pas encore formés. Pouvons-nous vraiment étreindre quelque chose qui vivra bien au-delà de nous ? En ce moment même, quelque part dans le monde, deux mains, la tienne et la mienne, se referment ensemble sur une pierre.
Les pierres visibles à la surface sont faciles à trouver ; plus difficile est de découvrir qu’en fendant parfois une pierre, on peut y trouver un autre cœur de pierre, caché à l’intérieur. Chaque fois que je la prends dans ma main, je me souviens : si j’étais prêt à te rencontrer, c’est pour que tu puisses l’ouvrir, comme on ouvre mon cœur, pour y prendre un peu de quelque chose, et y déposer un peu du tien.
« Après tout, certaines pièces de monnaie vivront peut-être plus longtemps que toi », me dis-je.
Un jour, nous disparaîtrons, mais elle — la pierre — restera. Si tu demeures à mes côtés, je n’aurai peut-être plus jamais ce frisson du moment où je l’ai trouvée parmi tant d’autres, car nous pourrons toujours en ramasser d’autres ensemble, et les placer à l’intérieur d’elle.
Nous croyons la posséder, mais c’est elle qui nous possède. Nous ne pouvons pas participer à son passé, ni nous en souvenir. Et pourtant, quand nous aurons disparu, elle se souviendra encore de nous.